Le voleur de rêve
Sa mère était gravement malade, hospitalisée depuis plusieurs mois. Tous les vendredis soirs, Luna prenait un train de Paris qui l’amenait à sa petite ville de province. Elle passait ses deux journées à l’hôpital et se retrouvait souvent seule le soir pendant ces week end.
Un samedi, une de ses amies lui proposa d’aller dîner et de dormir chez elle, pour ne pas être seule.
Elle accepta avec grand plaisir. La soirée commença dans la joie d’être ensemble, le partage, les rires, le repas. Elles se rappelèrent de bons souvenirs, les études, les copains d’alors. Les parents participaient dans la bonne humeur.
Arriva l’heure de monter se coucher.
La fête tourna au cauchemar. Le père l’accompagna pour lui montrer sa chambre, la chambre du fils absent. Il se colla contre elle et essaya de l’embrasser tout en refermant la porte. Elle le repoussa, le menaça de hurler et d’appeler au secours. Il battit en retraite.
Elle referma la porte sur ses talons. Elle se laissa glisser au sol, rouge de colère et de dégout. Le cœur battait la chamade, la nausée approchait sournoisement, la tête tournait. Elle était prise de vertiges. Les cris, la douleur, la rage étaient entravés, bloqués dans sa gorge. Comme elle, qui se sentait prise au piège, dans une toile d’araignée savamment tissée.
Elle passa la nuit là où elle avait glissé, recroquevillée par terre, bloquant la porte pour s’assurer que personne ne viendrait la pousser. Et personne ne vint.
L’épisode du petit déjeuner fut tendu, rapide. Les prétextes ne manquaient pas pour qu’elle s’en aille rapidement.
Il eut quand même l’audace et le mauvais goût de glisser un appareil photo couteux dans son sac. Une façon d’acheter son silence et de la compromettre ?
La colère et la haine lui faisaient monter le rouge aux joues. Mais elle ne dit rien. Elle ne croyait pas à ce qu’elle venait de traverser. Cet homme aurait pu être un père de substitution, une personne sur laquelle s’appuyer, se rassurer. Il venait de briser ce rêve, sa croyance selon laquelle les adultes responsables sont, de fait, responsables. Or, cet homme était un prédateur, qui ne respectait pas l’autre en tant qu’autre humain, qui ne méritait pas le respect.
Avant de prendre son train de retour, elle se rendit chez ses amis et leur demanda de renvoyer l’objet chez ce Monsieur. Ce qu’ils firent
Elle ne le revit pas. Elle ne revit jamais son amie non plus. Elle refusa les invitations, systématiquement. Elle avait honte de ce qui s’était passé. Elle n’osait pas affronter le regard de son amie, qui la questionnait « pourquoi tu ne viens plus « ? Elle ne voulait pas briser cette famille, elle ne voulait pas décevoir.
Des années plus tard, en repensant à ce moment, elle fut obligée de constater que ces hommes prédateurs s’attaquent à des proies fragiles, en situation de vulnérabilité. Qu’ils n’ont, eux, aucune honte.
C’est le cas de toutes les femmes victimes de violences, quelles qu’elles soient ; elles sont attaquées car les agresseurs sentent cette fragilité en elles, fragilité psychologique, physique, manque de confiance en soi, peurs ; et tentent d’en profiter. C’est une question de pouvoir et de flair. Un chasseur et sa proie.
Que la honte change de camp. Vite.
Comentarios